Quand la Chine lâche ses « loups soldats » sur la scène diplomatique

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Ils sont devenus omniprésents à la faveur de la crise sanitaire due au Covid-19 : une jeune garde de diplomates chinois aux manières beaucoup plus agressives que celles de leurs aînés. Surnommés les « loups soldats » de la politique étrangère de Pékin, ils incarnent en réalité l’évolution en profondeur de la diplomatie chinoise. 

Depuis cinq ans, la Chine a son propre Rambo. Et il s’appelle Leng Feng. Tout au long de deux films dopés à la testostérone, « Wolf Warrior » (« Loup soldat », 2015) et « Wolf Warrior 2 » (2017), il se bat contre des méchants Américains, libère des Chinois pris en otage et sauve d’autres compatriotes emprisonnés en Afrique… Ce succès au box-office chinois est passé totalement inaperçu du public occidental. À tort… Non pas à cause de la qualité toute discutable du scénario, mais parce qu’il préfigurait un virage de la politique chinoise sur la scène internationale, devenu impossible à ignorer à l’heure de la pandémie de Covid-19 et de la crise politique à Hong Kong. 

Cette évolution est parfaitement résumée par l’image finale de « Wolf Warrior 2 » : un passeport chinois accompagné du message « Citoyen chinois, si tu es en danger dans un pays étranger, n’abandonne pas ! Souviens-toi que tu peux compter sur une mère-patrie puissante ». C’est en substance ce qu’a affirmé le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, dimanche 31 mai, devant un parterre de journalistes, en déclarant que son pays « allait [dorénavant] répondre à toute insulte et défendre son honneur et sa dignité partout ».

Des jeunes loups aux dents longues

Le ministre répondait à une question portant, justement, sur le sens à donner à la nouvelle « diplomatie du ‘wolf warrior' ». Car le film a déteint sur la réalité sous la forme d’une meute de jeunes diplomates rapidement surnommés par les observateurs occidentaux les « loups soldats » de Pékin pour leurs manières agressives de faire passer les messages diplomatiques.

Il y a Zhao Lijan, un ancien attaché diplomatique au Pakistan, devenu le porte-parole star du ministère des Affaires étrangères, qui n’a rien à envier au président américain, Donald Trump, pour sa propension à tweeter plus vite que son ombre. Il est l’un des principaux promoteurs de la théorie du complot selon laquelle les États-Unis sont responsables de l’épidémie de coronavirus. Jeudi 3 juin, il a remis le Royaume-Uni à sa place, en lui signifiant qu’il n’avait pas son mot à dire dans le dossier de Hong Kong.

L’ambassadeur chinois en France, Lu Shaye n’a pas non plus sa langue dans sa poche. En avril, au plus fort de la crise sanitaire, il s’en était violemment pris au personnel des Ehpad, les accusant d’abandon de poste. Son collègue en poste en Suède, Gui Congyo s’est retrouvé sous le feu des critiques, en avril, après s’en être pris à des médias jugés trop critiques envers Pékin. Le diplomate chinois s’était permis de comparer les journalistes suédois à des boxeurs « poids légers » qui essaient de monter sur le ring contre « un poids lourd ».

Il serait facile de considérer ces jeunes loups comme des francs-tireurs qui auraient décidé de leur propre chef de s’émanciper « de la diplomatie traditionnelle chinoise », comme le souligne Bilahari Kausikan, un diplomate de Singapour qui s’est fendu d’un long essai sur les « loups soldats » chinois dans le magazine diplomatique canadien Global Brief. La posture diplomatique chinoise traditionnelle, théorisée par Deng Xiaoping dans les années 1980, étant celle d’avancer « sans révéler sa véritable force ». 

Xi Jinping, le loup Alpha

Mais ces diplomates aux dents longues « n’agissent pas sans l’aval du parti », assure Mareike Ohlberg, spécialiste de la Chine au German Marshall Fund of the United States, contactée par France 24. Comme l’atteste la carrière de Lu Shaye, qui, après avoir pratiqué la diplomatie du « wolf warrior » au Canada, s’est retrouvé à Paris, ce qui est considéré comme une promotion.

En réalité le loup alpha de cette meute n’est autre que le président Xi Jinping. Il ne montre pas publiquement ses crocs, mais « depuis le début de son deuxième mandat, en 2017, Xi Jinping a entrepris une radicalisation de la politique extérieure chinoise », souligne Jean-Philippe Béja, sinologue au Centre de recherche internationale (CERI) de Sciences-Po Paris, contacté par France 24. 

Le maître de Pékin considère que « le temps est venu pour la Chine de montrer sa force pour reprendre la place qui lui revient sur la scène internationale et, pour ce faire, il a décidé de mettre de côté les préceptes de Deng Xiaoping », affirme le politologue français. 

Dans cette optique, le petit groupe des ambassadeurs « wolf warriors » ne constitue que l’écume de la vague diplomatique chinoise. « Ce sont quelques jeunes cadres qui veulent se faire bien voir par le chef », assure Jean-Philippe Béja.

L’ambition de ce changement de posture sur la scène internationale est bien plus vaste, et en même temps, plus personnel. Après avoir assis son pouvoir durant son premier mandat, « Xi Jinping compte consolider sa position de leader en réalisant l’un des grands rêves pour les Chinois, à savoir se poser en grande puissance internationale », résume le sinologue du CERI. C’est donc une « nouvelle » attitude diplomatique à visée d’abord interne.

Le Covid-19 a accéléré le processus

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Cette évolution est d’abord passée inaperçue, car la nouvelle agressivité sur la scène internationale s’exprimait essentiellement à travers des frappes diplomatiques chirurgicales. Pour Mareike Ohlberg, du German Marshall Fund, Pékin « choisissait ces cibles pour en faire des exemples, tout en gardant une attitude diplomatique globalement traditionnelle ». Mais la pandémie de Covid-19 a « accéléré le processus, forçant la Chine à adopter une communication de crise », estime la politologue allemande. 

Soudain, Pékin devait faire face à un déluge de critiques, surtout de la part d’un Donald Trump plus anti-chinois que jamais. Le régime n’a, alors, plus eu le luxe de choisir ses combats et il s’est résolu à déployer sa nouvelle doctrine diplomatique à grande échelle. 

Cette approche a un autre avantage pour le parti, d’après Mareike Ohlberg. Elle permet de désigner des ennemis à l’étranger, afin de rassembler la population autour d’adversaires communs à combattre « en cette période d’incertitudes », note-t-elle.

Cette diplomatie du « loup soldat » peut évoluer dans deux directions, d’après elle. L’une des hypothèses est qu’elle pousse la Chine à adopter une attitude toujours plus désinvolte à l’égard de l’opinion internationale. C’est un scénario d’autant plus plausible pour Mareike Ohlberg que « l’évolution de la crise à Hong Kong illustre cette posture ». 

Mais il se peut aussi qu’une fois la crise sanitaire passée, le régime siffle la fin de la récréation, et « réduise le nombre de pays à l’égard desquels il se montre agressif, pour adopter une attitude diplomatique générale plus accommodante afin de ne pas se mettre trop de monde à dos », note Mareike Ohlberg. La Chine subit en effet un « début de retour de flammes, avec la multiplication des convocations d’ambassadeurs dans plusieurs pays », note Jean-Philippe Béja. La décision sans précédent de plusieurs ambassadeurs de pays africains en Chine d’écrire une lettre commune, le 11 avril, pour se plaindre du traitement subi par leurs compatriotes en Chine, démontre que cette radicalisation diplomatique est « peut-être allée trop vite et trop loin », estime le sinologue français. Xi Jinping n’a peut-être pas envie de sacrifier la bonne entente sino-africaine et les avantages économiques qui en découlent pour satisfaire l’appétit de quelques « loups soldats ».

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